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23 juillet 2008 3 23 /07 /juillet /2008 20:58

La bonne humeur dans le travail ingrat

 

La frugalité

 

A notre époque de consommation effrénée, le terme même de frugalité doit être incompréhensible pour certains habitants des pays développés. Cependant, nos anciens s’accommodaient plus ou moins bien d’une nourriture légère, ainsi que nous le montrent ces amusantes expressions proverbiales émanant de gens qui mangeaient peu en travaillant beaucoup. Voici d’abord le rôle primordial de l’oignon dans le repas du pauvre travailleur:

153- Tipula jan,

Tipula lan, (42)

Tin-tan!... (43)

Mangeant oignon,

Travail oignon,

Tin-tan!...

 

Le poireau, par la même occasion, n'est pas oublié:

154- Porria jan eta,

Porru lana da!...

Après (avoir) mangé du poireau

(C’est) du travail de poireau!...

 

Emazte bat astoaren gainean 2

 

La sardine salée figurait aussi en bonne place dans le menu des gens humbles :

155- Xardin oso jan,

Xardin oso lan!

Mangeant sardine entière,

Travail sardine entière!

155 bis- Xardin erdia jan,

Xardin erdia lan!

Mangeant moitié de sardine,

Travail moitié de sardine!

 

Bref, l’ardeur au travail dépendait, bien entendu, de la quantité de nourriture absorbée. Car nous avons à ce sujet une formule encore plus explicite:

156- Ez jan,

Ez lan!...

Pas manger,

Pas travailler!...

Source: famille de ma grand-mère Carricaburu/Chiramberro, à Aincille, fin du siècle dernier.

Quant à la viande, elle devait être considérée comme une denrée de luxe, puisque dans ces deux vers il n’est question que de curer un os:

157- Haragi hoberena,

Hexur ondoan dena!

La viande la meilleure,

Celle qui est près de l’os!

 

Mais en réalité, c'est surtout du lard ou du jambon qu'il s'agissait le plus souvent. De là, cette remarque aussi brève qu'élogieuse :

158- Xingarra,

Haragi azkarra!

Le jambon,

Une viande forte! (44)

 

Emazte (bi) peharrarekin 10

 

Voici encore une formulette qui, malgré son aspect humoristique, laisse entrevoir à quel point nos anciens vivaient chichement. Elle pourrait s'intituler La prière du pauvre:

159- Jauna,

Begira zazu xingar-azpi hau ttipitzetik,

Nik aldiz begiratuko baitut handitzetik.

Seigneur,

Préservez ce jambon de la diminution,

Parce que moi, en revanche, je le préserverai de la croissance.

 

(42) Nous avons déjà vu, précédemment, que le mot oignon représente pour les Basques une chose de valeur négligeable.

(43) Cette exclamation pourrait correspondre au français populaire tintin qui exprime la déception de celui qui n’a rien obtenu.

(44) La renommée des jambons de notre pays remonte très loin dans l’antiquité. On sait qu’au moyen âge il existait de grands troupeaux de porcs qui parcouraient les territoires communautaires des montagnes, tout comme les brebis et les vaches, afin d’y trouver leur nourriture. Ces cochons vivaient donc fréquemment à la manière des sangliers.

 

Et que dire de cette malédiction lancée par un muletier navarrais dans l’auberge espagnole «posada española», qui se trouvait autrefois en face de ma maison natale, rue d’Espagne à Saint-Jean-Pied-de-Port ? Notre irascible compatriote du Sud estimait qu’on lui avait servi une tranche de jambon trop mince. Alors, devant l’aubergiste médusé, il piqua la tranche avec la pointe de sa navaja et l’éleva jusqu’à ses yeux en rugissant:

160- Madarikatia izan dadila,

xingar-xafla hunen gihiletik

ikusten ahal dutan gizona!...

Maudit soit l’homme

qu’il m’est possible de voir

à travers cette tranche

de jambon!...

Source: mes souvenirs d’enfance, de 1920 à 1926, famille Duny-Pétré/Carricaburu, rue d’Espagne, à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Traineau Aldudes

Traineau, Alduden

 

L’acharnement au travail

 

En raison même de la lutte pour la vie, l’acharnement au travail se traduit souvent par je ne sais quel déploiement farouche d’énergie triomphante. Mais ces deux quatrains, malgré leur aspect sententieux, ne traduisent-ils pas aussi le sourire satisfait de tous ceux qui se passionnent pour une activité créatrice?

161- Zakutik edo zorrotik, (45)

Burutik edo besotik,

Hantik edo hementik,

Zer gerta ere,

Nunbaitik!...

Du sac de toile ou du sac de cuir,

De la tête ou des bras,

De là-bas ou d’ici,

Quoi qu’il arrive,

De quelque part!...

 

162- Hortzez eta haginez, (46)

Dena gogor izanez,

Lanak egin beharrez,

Nausi girea, ala ez?

Des incisives et des molaires,

Etant donné que tout est dur,

Les travaux devant être faits,

Sommes-nous maîtres ou non?

 

(45) Zakutik edo zorrotik; phrase proverbiale, employée habituellement seule dans la conversation, avec le sens de: coûte que coûte.

(46) Hortzez eta haginez: phrase proverbiale, employée habituellement seule dans la conversation, avec le sens de: du bec et des ongles.

Source: mes souvenirs d’enfance de 1920 à 1926, famille Duny-Pétré/Carricaburu, rue d’Espagne, à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Rue d'Espagne attelage 1907

 

Chez le forgeron-serrurier

 

Il s’agit ici d’un jeune compagnon qui doit apprendre son métier auprès d’un vieux Maître, dans une ancienne forge plutôt vétuste. Ces quelques rimes basques rappellent le banal proverbe français: c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Cependant, la mise en train de l’apprenti semble assez pénible:

163- Ahotz zaharrarekin

Dena zoko-moko,

Dena burdin-murdin,

Eta gako-mako. (47)

Su ta pindarrekin

Arizan beharko!...

Chez le vieux forgeron,

Plein de coins et recoins,

Plein de bouts de ferraille,

Avec des tas de clefs.

Dans le feu et les étincelles

Il faudra travailler!...

 

(47) Zoko-moko, burdin-murdin, gako-mako: voici toute une série de redoublements avec m, qui exprime une idée d’accumulation et d’accablement. De plus, la brutalité des rimes en kin et en ko, ne rappellerait-elle pas les coups de marteau sur l’enclume?

 

Source: Manez-haurra Pétré, maître serrurier, rue d'Espagne à Saint-Jean-Pied-de-Port, fin XIXe siècle.

 

Orga haurrak 2

 

Le transport du foin

 

Dans la montagne escarpée, non carrossable et parfois peu accessible à l’âne ou au mulet, le foin se transporte à dos d’homme, grâce à un porte-charge rustique appelé communément: leatxunak. Le tas de foin, pesant en moyenne 70 à 80 kg, est serré par une corde entre les bâtons de cet appareil. Après s’être accroupi pour se loger sous le fardeau ainsi préparé, le montagnard se redresse brusquement de façon que tout le poids repose sur ses épaules, l’emplacement de sa tête ayant été préalablement creusé dans le foin. Et c’est ainsi coiffé que l’homme, dont on n’aperçoit plus que les jambes, s’engage sur le sentier qui le conduira à la grange. Vu la longueur du trajet, ou en raison des montées à escalader, il arrive que plusieurs relais soient nécessaires. Aussi, cette formulette exprime-t-elle le soulagement et même la joie du paysan qui est arrivé au bout de ses peines:

 

164- Leatxunak hantik,

Leatxunak hementik,

Azkenian nunbaitik,

Belarra bildu dut nik!...

Le porte-charge de-ci,

Le porte-charge de-là,

Finalement, de quelque façon,

Moi, j’ai ramassé le foin!...

 

Gizon batek pipatzen

Gizon batek pipatzen

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  • : Xirula Mirula de Pierre Duny-Pétré
  • : Recueil de comptines, de jeux, de chants, d'expressions populaires en langue basque, province de Basse Navarre au début du XXe siècle. Haur kantu, haur joko eta erranaldi bilduma, ahozko haur literatura, papaitak, zuhur hitzak Garazin
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