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23 juillet 2008 3 23 /07 /juillet /2008 20:59

Les malheurs dont il vaut mieux rire

 

Les calamités domestiques

 

Chez beaucoup de peuples, on se plaît à énumérer humoristiquement un certain nombre de calamités qui symbolisent  les malheurs dont il faut tout particulièrement se méfier. Voici, paraît-il, ce que les Basques redoutent le plus en ce monde:

142- Gure gaitz handienak:

Xerri joaredunak,

Emazte bizardunak,

Ta ohean itaxurak!...

Nos malheurs les plus grands:

Les porcs munis d’une sonnaille,

Les femmes barbues,

Et, au lit, les gouttières!...

 

Dans l’esprit de nos paysans, un porc muni d’une clochette représente le bétail dévastateur des récoltes lorsqu’il divague à travers champ. Seul, le bruit d’une sonnaille peut alors le trahir dans ses escapades. Quant à l’épouse barbue, elle symbolise la laideur repoussante qui éloigne l’homme de la vie familiale. La laideur? Mais peut-être, autrefois, la sorcellerie. Enfin, la gouttière au-dessus du lit est évidemment ce qui caractérise le mieux une maison inconfortable, pour ne pas dire inhabitable. Cependant, il s’agit là surtout du cultivateur. Le berger, de son côté, est souvent aux prises avec des soucis qui lui sont particuliers. Mais pour mieux en rire, il les a versifiés, lui aussi:

 

142 bis- Axuriak ttipitzen,

Ardiak ilortzen,

Gasnak ez saltzen!...

 

142 ter- Kariotu baskak,

Merkatu iliak,

Adio, artzainak!...

 

Les agneaux en baisse,

Les brebis avortant,

Les fromages ne se vendant pas!...

 

Les pacages plus chers,

Les laines meilleur marché,

Adieu les bergers!...

Source: famille Clément Haritschelhar 1958, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Mes souvenirs d’enfance de 1920 à 1930. Famille Broussain/Harguindeguy, épicerie-auberge de Lécumberry.

Emazte astorekin 1Ogi saltzaile Euskal Herrian

La pollution

 

Alors qu’aujourd’hui on dénonce partout les atteintes dont l’humanité se rend coupable envers la nature, l’environnement, le cadre de vie, etc. Nos anciens avaient déjà pressenti ce qui allait arriver, si l’on en juge par cette formule burlesque, qui condamne certaines exagérations, avec l’allègre truculence que voici:

 

143- Ogi metarekin: garratoin!

Zakur-taldiarekin: kukuso!

Jende-ketarekin: kaka!

Avec le tas de blé: les rats!

Avec la meute de chiens: les puces!

Avec la surpopulation: le caca!

 

Surproduction, entassement, prolifération excessive? Voilà certainement des problèmes qui intéressent notre avenir. Mais c’est aussi par un mystérieux dialogue avec les astres que nos ancêtres semblent avoir été mis en garde contre la pollution, dans tous les sens de ce mot, ainsi que pourrait en attester ce curieux fragment de poésie:

 

144- Ilargi ta izarrak,

Begitarte xuri,

Izanikan hain gorak,

Munduan, zer berri?

Lune et étoiles,

Au visage blanc,

Qui êtes si hautes,

Dans le monde, quoi de nouveau?

 

145- Zeru gainetik gira,

Egun irriz ari,

Agertzen baita lurra,

Dena zikinkeri!

Depuis le haut du ciel nous sommes

Aujourd’hui en train de rire,

Parce que la terre apparaît

Entièrement sale!

 

Emazte (bi) ferretarekin 11

 

Les intempéries

 

L'humeur changeante des phénomènes météorologiques est toujours redoutée chez les marins comme chez les montagnards. En hiver, c'est avec un soupir de soulagement que chacun se retrouve au coin du feu en proclamant:

146- Elur-melur (39)

Ez nuk hire beldur,

Ukanik etxean arto

ta egur!...

Neige-neige

Je n’ai pas peur de toi,

Ayant à la maison du maïs

et du bois!...

 

Mais, devant les caprices de la nature, se lamenter ne sert à rien. Il vaut mieux plaisanter et prendre son mal en patience:

147- Euri, berriz euri!

Iruzkia ez ageri,

Igelak ta bareak,

Oraiko erregeak!...

Pluie, encore pluie!

Le soleil ne paraît pas,

Les grenouilles et les limaces

(sont) reines en ce moment!...

 

D’ailleurs, le travail de la terre enrichit nos paysans d’une bonne dose de sagesse, non exempte de fatalisme:

148- Xaz bezala aurten,

Hegoa joaiten,

Hormaren urtzerat

Nahi dien lekurat!

Comme l’an dernier, cette année,

Le vent du sud s’en va

Faire fondre la gelée

A l’endroit qu’il voudra!

 

(39) Redoublement avec m, qui tend à marquer un sentiment d’accumulation et d’accablement.

Source: mes souvenirs d’enfance de 1920 à 1926, famille Duny-Pétré/Carricaburu, rue d’Espagne à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Frantziako atea

Frantziako atean

Les déceptions et leurs remèdes

 

Lorsqu’on est aux prises avec les difficultés de l’existence, et que «rien ne va plus»... au lieu de se désespérer, pourquoi ne pas essayer d’être gai? Face aux échecs, une plaisanterie n’est-elle pas souvent la meilleure réplique? C’est ainsi que le Basque réagit contre son amertume, en riant malgré tout, après un combat inutile:

149- Itzul edo mitzul, (40)

Eta beti berdin,

tipul!... (41)

Tour ou bien détour,

Et comme toujours,

(on est) oignon!...

 

Bien sûr, il lui arrive aussi de faire de beaux rêves. Mais, quand ses projets s’avèrent vraiment irréalisables, il ne les compare pas, pompeusement, à de fabuleux «châteaux en Espagne». Au contraire, il va chercher dans le domaine culinaire une idée comique bien plus à sa portée :

150- Sekulan ez diren agertuko ontasunak:

Ametsetako lukinkak!...

Les biens qui

n’apparaîtront jamais:

Les saucisses des rêves!...

 

(40) Comme dans l’expression itzuli-mitzuli, le redoublement avec m traduit une multiplicité de démarches infructueuses.

(41) De nombreux idiotismes basques font allusion à l’oignon, lorsqu’il s’agit de qualifier une chose sans valeur. Cette phrase signifie donc: on est toujours berné.

 

Source: famille Idieder/Duhalde, 1954, à Iholdy.

 

Le malheur de vieillir

 

Dans le feu de l’action quotidienne, on ne pense pas trop à son âge. Il en est très bien ainsi. Mais un jour, la vieillesse frappe obstinément à notre porte... On se trouve alors en face d’elle avec une sorte de scepticisme désabusé:

151- Zer berri herrian?

Batzu alfer egonez,

Besteak lanian!

Herrian zer berri?

Zaharren nigarretaz

Gazteriak irri!

Quelles nouvelles au village?

Certains restant oisifs,

Les autres (sont) au travail!

Au village quelles nouvelles?

Des pleurs de la vieillesse

La jeunesse se rit!

 

18 Arneguy haurrak cachet 1915

 

 

Mais notre vieux Basque saura retrouver bien vite un sourire goguenard pour supporter les irréparables outrages du temps:

151 bis- Urte guziek

zahartu,

Guri guziak

gogortu,

Gogor guziak

guritu!

Toutes les années

(m’ont) vieilli,

Toutes les souplesses

(se sont) raidies,

Toutes les raideurs

(se sont) assouplies!

 

Croyant ou non croyant, il attend la mort avec résignation et sérénité:

152- Nola hiz, zahar okitia?

Bizirik ere doi-doia,

Goiz guziez uzten ohia!...

Comment vas-tu, vieux décrépit?

Même vivant à peine,

Tous les matins je quitte le lit!...

Source: famille Bidegain, 1957, rue d’Espagne, à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Pierre Duny-Pétré 6-7 urte

Pierre Duny-Pétré, 8 urte

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  • : Xirula Mirula de Pierre Duny-Pétré
  • : Recueil de comptines, de jeux, de chants, d'expressions populaires en langue basque, province de Basse Navarre au début du XXe siècle. Haur kantu, haur joko eta erranaldi bilduma, ahozko haur literatura, papaitak, zuhur hitzak Garazin
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