Comptines ou formules d’élimination
Mode d’emploi pour les garçons ou le rôle du béret...
Les petits garçons qui veulent pratiquer un jeu collectif se rassemblent en cercle, debout, et serrés au coude à coude. Le meneur de jeu, qui fait aussi partie du groupe, présente alors son béret à plat, avec l’ouverture tournée vers le haut. Chacun des enfants place son index en crochet dans l’entrée du béret, en tirant légèrement de façon que la coiffure se maintienne sur un plan horizontal.
Dès que les doigts sont en place, le meneur de jeu récite la formule d’élimination. A chaque mot prononcé –ou à chaque syllabe selon les besoins du rythme– il frappe avec sa main demeurée libre un index différent, en commençant par le sien et en allant de gauche à droite. L’enfant dont l’index est touché à l’instant où le dernier mot est articulé, se retire du cercle.
Le meneur de jeu recommence alors sa récitation et continue à officier ainsi, même quand par hasard il est lui-même éliminé, et cela jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul enfant. C’est celui-là qui devra engager le jeu proprement dit.
Mode d’emploi pour les filles
A l’époque où ces formulettes étaient utilisées, les filles étaient séparées des garçons et jouaient dans des cours de récréation différentes. Or, elles ne portaient généralement pas de béret. Mais elles avaient la ressource d’emprunter momentanément celui d’un garçon. A défaut d’une coiffure de ce genre, elles se rassemblaient quand même en cercle, comme il est indiqué ci-dessus. Celle qui menait le jeu récitait la comptine. En prononçant chaque mot, elle touchait à la ronde la poitrine de ses compagnes, en commençant par la sienne, et l’élimination se faisait ainsi sans problème.
Intonation pour chanter les comptines
A proprement parler, il n’existe pas d’air qui permette de chanter véritablement ces formulettes. Mais, dans les écoles d’autrefois, les enfants avaient pris l’habitude de réciter en choeur diverses leçons, la table de multiplication, ou même la liste des préfectures et des sous-préfectures départementales, tout cela sur un certain ton de rengaine consacré par une longue tradition. C’est donc sur ce même «air» lancinant et monotone que la comptine était habituellement débitée, selon la cadence voulue, tandis que la main du meneur de jeu battait en quelque sorte la mesure lorsqu’elle retombait sur les doigts accrochés au béret.
Signification des mots ou des phrases
Ainsi que le remarquent tous ceux qui étudient les jeux enfantins, il serait inutile et même ridicule de vouloir traduire des comptines en langage clair. C’est qu’on se trouve ici en présence de la plus pure création fantaisiste. L’imagination des enfants semble parfois se déchaîner jusqu’à l’absurdité, dans une incohérence endiablée, ne donnant de valeur qu’à la musique des mots, à la sonorité des exclamations, aux onomatopées qu’ils inventent eux-mêmes, le tout enrobé malicieusement d’une certaine mystification...
N’est-ce pas d’ailleurs grâce au rythme plus ou moins heurté de syllabes privilégiées que les petits arrivent à «compter» autrement qu’en énumérant froidement la série des chiffres ordinaires par exemple de un à dix? Il faut bien comprendre, en effet, que le cérémonial de la formulette d’élimination, avec tout son rituel amusant, est déjà par lui-même une sorte de jeu.
75- Xirrixti-mirrixti
Voici probablement la comptine la plus répandue parmi les enfants du Pays Basque Nord. Elle a dû rester vivante dans beaucoup de mémoires, et c’est pourquoi nous la citons avant toutes les autres.
Xirrixti - mirrixti, (12)
gerrenian plat,
oilo zopa,
kikiri salda,
urrup edan,
edo klik !
Ikilimiliklik !
Xirrixti - mirrixti, (12)
à la broche le plat,
soupe de poule,
tasse de bouillon,
bue en aspirant,
ou avalée d’un trait !
Ikilimiliklik !
Le meneur de jeu prononce la formulette en mettant l’accent sur la première syllabe des mots, à l’instant précis où il touche l’un des participants. Lorsque le mot n’a qu’une syllabe, comme dans plat ou dans klik, il n’y a donc aucun problème. Pour la clarté de l’explication, nous présentons ci-après cette même comptine, mais en y ajoutant des chiffres qui montrent combien de fois le meneur de jeu doit poser sa main en comptant.
XIrrixti
MIrrixti
GErrenian
PLAT
OIlo
ZOpa
Klkiri
SAlda
Urrup
Edan
Edo
KLIK
Ikilimiliklik!
(12) Xirrixti-mirrixti: onomatopée évoquant sans doute le grésillement d’une viande sur le feu. Noter le redoublement avec l’initiale m. Nous l’avons déjà rencontré dans le refrain incantatoire: Xirula-mirula. C’est que les Basques sont très friands d’expressions de ce genre, notamment lorsqu’il s’agit de donner à la phrase une note plus ou moins péjorative. Citons par exemple: Zoko-moko, pour caractériser les coins et recoins, Handi-mandi, pour qualifier les grands de ce monde. Inguru-minguru, pour mieux décrire les tours et détours.
Dans le recueil que Vinson publia au siècle dernier, le mot edan ne figure pas après urrup. Or, selon mes souvenirs d’enfance, edan existait bien à l’endroit où je l’ai placé
Source: mes camarades d’école, à St-Jean-Pied-de-Port, à Estérençuby et aux Aldudes, 1920-1926.
Pierre Duny-Pétré ren sortetxea, Españako karrikan, Donibane Garazi 2006.
76- Arianda-marianda
Arianda - marianda (13), sukalde zaharra,
kedar beltza, biper, gatza, talo-malo, (14)
esne bero, bertza zilo!
Arianda - marianda, (13)
vieille cuisine,
suie noire, piment,
sel, galette de maïs, (14)
lait chaud, chaudron troué!
Les mots de certaines comptines sont parfois inintelligibles. Néanmoins, il semble que l’on puisse déterminer l’idée générale de celle-ci. Comme c’est le cas pour le célèbre Xirrixti-mirrixti, le vocabulaire nous introduit dans l’antique sukaldea d’une maison basque. Mais ne devine-t-on pas surtout une amusante espièglerie des enfants qui jouent à faire la cuisine? Quoi qu’il en soit, la formule se récite de la façon suivante:
Arianda
MArianda
SUkalde
ZAharra
KEdar
BEltza
BIper
GAtza
TAlo
MAlo
Esne
BEro
BErtza
Zilo
(13) Arianda-marianda: onomatopée sans signification apparente, mais appréciée pour son euphonie. Avec encore un redoublement précédé de la lettre m, nous avons peut-être là une sorte d’entrée en matière ou de cri préliminaire, dont le rôle consisterait à capter l’attention des jeunes joueurs.
(14) Talo-malo: autre redoublement avec m, qui apporterait cette fois une idée d’abondance: un tas de galettes.
77- Baga-Biga
Baga, biga, higa, laga, bosga, seiga, zahi, zohi, bele, arma, tiro, punp!
Baga, biga, higa, etc. Il s’agit d’abord de huit mots fantaisistes formés avec les premières lettres des chiffres: «un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit...» Viennent ensuite les termes suivants: «corbeau, fusil, coup de feu, poump!»
Ici, la formule s’inspire sans aucun doute possible des efforts d’un enfant qui apprend à compter, au moins jusqu’à huit... Quant aux derniers mots, ils s’appliquent évidemment à un chasseur qui tire un coup de fusil. La prononciation s’articule ainsi:
BAga
BIga
HIga
LAga
BOsga
SEiga
ZAhi
ZOhi
BEle
Arma
TIro
PUNP
Source: mes camarades d’école, à St-Jean-Pied-de Port, à Estérençuby et aux Aldudes, 1920 -1926.
Catherine Carricaburu Pétré, Pierre Duny-Pétréren amatxi, joskin Espainako karrikan, Donibane Garazin
78- Ferrela-merrela
Ferrela-merrela, (15)
Goporra, mokorra, (16)
Xikitun-xakatun, (17)
fuera!
Ferrela-merrela,
écuelle, croûton,
xikitun-xakatun,
dehors!
Avec xikitun et fuera, on sent déjà le voisinage de la frontière espagnole. Mais l’imagination débridée des enfants basques se soucie fort peu de ces considérations. Il leur suffit, en somme, que les mots soient euphoniques et faciles à prononcer. On les énumère donc en classant les syllabes comme il suit:
FErrela
MErrela
GOporra
MOkorra
XIkitun
XAkatun
FUEra
(15) Ferrela-merrela: ce redoublement avec m semble reproduire le ronflement bizarre d’un jouet rustique basque appelé ferrela, ou encore furruna. Voir chapitre consacré aux jouets.
(16) Goporra-mokorra: noter l’utilisation du mot mokorra, croûton, pour constituer un redoublement avec m.
(17) Xikitun-xakatun: il s’agirait ici d’une sorte de refrain exclamatif, que l’on retrouve à peu près parmi les paroles d’un air de fandango très connu: Airetun xikitun!...
Catherine Carricaburu Pétré (joskin Espainako karrikan, Donibane Garazin) ikaslerekin, Jeanne Pétré, Marie Pétré